L’arbitrabilité et l’ordre public

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L’arbitrabilité et l’ordre public

Dans quelle mesure l’ordre public peut-il faire obstacle à l’arbitrabilité ?

Le contrat est le domaine de l’arbitrage par excellence. En effet, un tribunal arbitral n’a la compétence de rendre des décisions que dans le cadre fixé par la convention d’arbitrage. Cette convention ne peut être établie que par écrit.

Ceci dit, l’arbitrabilité, définie comme la faculté du recours à l’arbitrage, est admise de façon unanime pour le contentieux contractuel. Les restrictions à la compétence des arbitres y sont en effet difficilement envisageables. Ces droits ont une valeur patrimoniale certaine de sorte que la plupart des systèmes admettent l’arbitrage.

Toutefois, le ciel n’est pas serein pour l’arbitrabilité en présence de l’ordre public. Néanmoins, il est difficile de donner au terme d’ordre public une définition uniforme.

Ceci dit, les rapports de l’arbitrabilité avec l’ordre public sont évoqués d’une façon ambigüe par l’article du code d’arbitrage tunisien qui indique qu’on ne peut compromettre dans les matières qui touchent à l’ordre public [..]. Ce critère place la législation tunisienne dans une situation de recul par rapport à d’autres législations (Comme les droits suisse [code de procédure civile suisse de 2011 (CPC)], et allemand [code de procédure civile allemand (Zivilprozessordnung, ZPO)] qui ne font plus référence à la notion d’ordre public pour déterminer l’arbitrabilité d’un litige). La notion est, en effet, abstraite et difficile à cerner avec précision. Le flou de la notion serait inséparable du rôle que l’ordre public est appelé à jouer.

Cet obstacle a intéressé la jurisprudence française depuis le XIX siècle. Ainsi l’arrêt de la cour d’appel de Paris, qui avait statué sur une vente de marchandise taxées, donc soumise à une réglementation d’ordre public économique où elle déclarait «[…] une juridiction arbitrale ne pouvait valablement connaitre de
contestation relatives à l’exécution directe ou indirecte d’un contrat portant sur des marchandises taxées au motif que les dispositions légales ou réglementaires relatives à la taxation de marchandises intéressent l’ordre public, si bien qu’aucune contestation concernant l’interdiction ou l’application de ces dispositions ne peut être réglée par voie d’arbitrage sous peine de violation de l’article 1004 du code de procédure civile ( actuellement article 2060 du code civil).

En ce sens, M.Ancel a ajouté qu’ « on pourrait à la rigueur admettre au niveau des principes, qu’il y ait une telle coïncidence entre l’exclusion de l’arbitrage et l’ordre public de fond. L’arbitre, juge privé ne pouvant s’occuper que des intérêts privés. Le juge étatique, public, étant seul gardien de l’ordre public ».

Cette attitude témoigne d’une méfiance injustifiée à l’égard de l’arbitrage, parce que l’arbitre statue toujours sous le contrôle du juge étatique ce qui risque de paralyser l’arbitrage voire même de le tuer.

De ce fait, cette conception intolérante vis-à-vis de l’arbitrage à été abandonnée. Ceci dit, un arrêt de la Cour de Cassation Française en 1950 a déclaré que « la nullité d’un compromis ne découle pas de ce que le litige touche à des questions d’ordre public, mais uniquement du fait que l’ordre public a été violé ».

Cette position modérée a été renforcée par deux arrêts rendus par la CA Paris qui a prévu que : « s’il est de principe que le compromis est interdit sur toute cause intéressant l’ordre public, cette règle ne signifie pas et n’a jamais signifié que tout différend relatif à une opération soumise à certains égards à une réglementation présentant un caractère d’ordre public se trouverait de ce fait soustraite à tout arbitrage qu’elle n’a qu’une portée beaucoup plus restreinte et n’emporte nullité du compromis que si l’opération ou la convention litigieuse à laquelle il a trait est frappée d’invalidité comme ayant certainement contrevenu à l’ordre public […] la nullité du compromis ne découle pas de ce que le litige touche à des questions d’ordre public mais uniquement du fait que l’ordre public a été violé ».

Nonobstant cette évolution jurisprudentielle très attendue, certains auteurs se sont montrés gourmands, à l’instar de M.Cohen qui a estimé que l’arbitre doit pouvoir constater la violation de l’ordre public. […] Interdire un tel pouvoir à l’arbitre est illogique et dangereux, car l’arbitre serait plus attiré par la continuation de sa mission en estimant que la violation de l’ordre public n’existe pas que de déclarer que le contrat viole l’ordre public et de se dessaisir par la suite de l’affaire.

Ainsi, la jurisprudence française s’est ralliée à cette opinion dans deux arrêts. En effet, la cour d’appel de Paris a cité dans l’affaire ‘Ganz’ que : « en matière internationale, l’arbitre est compétent pour apprécier sa propre compétence quant à l’arbitrabilité du litige au regard de l’ordre public international et dispose d’un pouvoir d’application des principes et règles relevant de cet ordre public, ainsi que de sanctionner leur ignorance éventuelle, sous le contrôle du juge de l’annulation,[…] Hors, les cas où la non arbitrabilité
relève de la matière, en ce qu’elle intéresse au plus près l’ordre public international et exclut de manière absolue la compétence arbitrale du fait de nullité de la convention d’arbitrage, l’arbitre international, dont la mission consiste aussi à assurer l’ordre public international, a le pouvoir de sanctionner les comportements contraires à la bonne foi .. ».

La Cour, à travers l’arrêt ‘Labinal’, y rajoute que « l’arbitrabilité du litige n’est pas exclue par le simple fait qu’une réglementation d’ordre public est applicable au rapport de droit litigieux ».

Ces arrêts ont dégagé deux principes ; En premier lieu, le principe de compétence-compétence qui consiste à déterminer si l’arbitre a le pouvoir de juger auparavant sur sa propre compétence et qu’en raison du principe d’autonomie de la clause compromissoire, il est approprié de reconnaître le pouvoir de sanctionner la violation d’ordre public aux arbitres commerciaux internationaux. La volonté présumée des parties ne peut servir de justification au principe qui veut que le tribunal arbitral décide lui-même sur les objections à sa compétence et en second lieu, la Cour admet le pouvoir des arbitres à sanctionner l’ordre public.

Pour sa part, la jurisprudence tunisienne, à travers l’arrêt de la cour d’appel de Tunis le 12 janvier 1998, a constaté la généralité des termes de l’article 7-1. Cependant, elle leur a réservé une interprétation limitative en considérant qu’il ne suffit pas qu’il y ait une règle d’ordre public ayant un lien quelconque avec le différend pour qu’il soit inarbitrable, et que la contestation ne devient inarbitrable que dans le cas où son objet principal est directement régi par des dispositions d’ordre public.

On constate finalement que le différend peut être arbitrable malgré l’existence de l’ordre public donc la seule présence de l’ordre public ne suffit pas à rendre un litige inarbitrable. En d’autres termes, le seul examen de dispositions d’ordre public par l’arbitre ne suffit pas pour que la décision soit annulée, les motifs de la sentence arbitrale doivent être contraires à ces principes.

Article publié dans le magazine juridique n° 1 en Tunisie « Infos Juridiques » en juin 2018.