Chapitre 2- La vision américaine du droit auteur : Le Copyright
Section 1- Présentation du Copyright
A la conception naturaliste de M. Locke, fondement de l’approche personnaliste du droit d’auteur, s’oppose la conception utilitariste de M. Bentham, fondement de l’approche économique du droit d’auteur30 . Ces deux courants philosophiques ont donné naissance à d’une part le droit d’auteur avec ses composantes morales et patrimoniales et d’autre part le copyright, davantage accentué sur l’utilité économique de l’œuvre.
Le copyright représente une protection dispensée par la clause de brevets d’inventions et les droits d’auteur de la constitution américaine. Il protège ainsi les œuvres des artistes et des auteurs. La législation fédérale dans ce domaine a été amendée à plusieurs reprises et la loi en vigueur actuellement est le Copyright act de 1976.31
Avant cette loi, et en vertu du Copyright Act de 1909, une œuvre doit être publiée pour bénéficier de sa protection. Mais, la loi de 1976 a éliminé cette exigence de la publication en stipulant qu’une fois l’œuvre créée, l’octroi du droit d’auteur est automatique. Ceci dit, aucune publication ni aucun enregistrement ne s’impose pour obtenir la protection du Copyright. Néanmoins, l’œuvre peut être enregistrée auprès du Copyright Office (Bureau américain des droits d’auteur). Celui-ci, a pour fonction majeure la délivrance des enregistrements Copyrights et de conserver les éléments faisant l’objet d’une revendication de ces droits. On constate ainsi que cet enregistrement confère au titulaire certains avantages.32
Le droit moral est absent en droit américain puisque la loi fédérale de 1976 sur le droit d’auteur ne comporte aucune disposition sur le droit moral. Cependant, chaque Etat fédéré est libre de promulguer et de reconnaître un droit moral aux auteurs et définir sa protection.33
Ceci dit, l’absence de protection uniforme qui diffère d’un État à l’autre, vue comme un inconvénient, peut en résulter. Quoique, les États qui ont légiféré sur ce point se sont limités généralement aux œuvres picturales, on peut donc confirmer que les États-Unis ignorent le principe juridique du droit moral de l’auteur.34
Section 2- La consécration de l’arbitrabilité du Copyright
Le législateur américain n’a pas tranché la question d’arbitrabilité du copyright. Mais même si le Congrès des États-Unis n’a pas expressément agréé l’arbitrage pour les litiges relatifs au droit d’auteur dans la loi sur le copyright de 197635 ou sous le code des règlements fédéraux36 , les accords de licence de droit d’auteur sont susceptibles d’être réglés par voie d’arbitrage.
En effet, dans Kamakazi Music Corp. V. Robbins Music Corp., la Cour d’appel a approuvé l’arbitrage des réclamations d’infraction du copyright, le tribunal a considéré que l’arbitre était compétent pour rendre une sentence aux termes de la Loi sur le copyright et que la clause d’arbitrage était suffisante pour englober les revendications qui exigeaient l’interprétation du contrat. En outre, le tribunal a jugé que les motifs de l’ordre public ne pouvaient pas inhiber la soumission des questions d’atteinte au copyright à l’arbitrage, car ce qui relève de la portée de la l’ordre public est le monopole limité créé par un droit
d’auteur.37
Dans une autre affaire38, le souci était l’arbitrabilité de la validité du copyright. En effet, la CA a confirmé que «l’arbitre peut déterminer la validité d’un droit d’auteur quand la question se pose dans une instance
qui concerne une licence d’exploitation du copyright. » 39 . En outre, le tribunal a déclaré que les litiges impliquant un monopole économique ne menaçaient pas l’ordre public donc il n’y avait aucune raison de prohiber l’arbitrage d’un différend qui menace encore moins l’ordre public.40
Malgré tout, l’arbitrabilité du copyright n’est pas absolument certaine. On pourrait soutenir qu’une réclamation en cas de violation ou de validité découlant d’un différend de licence de copyright concernant, par exemple, les redevances, est probablement arbitrable après l’affaire « Saturday Evening Post » ; Pourtant, au cas où la demande serait basée sur copyright enregistré par le gouvernement fédéral et s’appuie directement sur la loi sur copyright, la réclamation n’est pas arbitrable.
Le Copyright n’est pas exclusif aux Etats Unis. En effet, La Cour Suprême du Canada est considérée comme un atelier de droit comparé. Elle représente une hybridation entre le droit civil et la common law malgré qu’au cours des dernières années, elle ait optée pour les solutions issues de la common law.
Ceci se manifeste à travers l’arrêt Théberge41, où la Cour a établi un choix décisif en faveur de la common law. Dans les années qui ont suivi, cet arrêt a été confirmé à de nombreuses reprises. On note ici l’affaire Chouette.42
Ainsi, après seulement un an de l’affaire Théberge, la Cour suprême est saisie d’un nouvel appel provenant du Québec où le résultat était le même : encore une fois, la vision personnaliste a été rejetée.
Concernant les faits, Hélène Desputeaux et Christine L’Heureux s’associent pour l’illustration d’un livre pour enfant édité par les Éditions Chouette, dont L’Heureux est dirigeante et actionnaire majoritaire. Aux termes du contrat, les parties cèdent par licence l’exploitation du personnage principal à l’éditeur. Ainsi, Desputeaux et L’Heureux renoncent à leur droit moral. Mais l’interprétation et l’application de la convention sont incertaines.
De ce fait, l’éditeur cherche alors à faire reconnaître judiciairement son droit de reproduction de l’œuvre. Alors qu’il n’existe aucune clause d’arbitrage, Desputeaux demande à la Cour Supérieure que le
litige soit tranché par la voie d’arbitrage en vertu de la loi québécoise43 . Ceci a été accepté par le tribunal. L’arbitre élu par les parties désigne L’Heureux et Desputeaux comme co-auteures du livre, qualifié d’œuvre en collaboration au sens de l’article 2 de la LDA.44
Ensuite, la Cour supérieure refuse une demande tendant à annuler la sentence intentée par Desputeaux. La CA Québec, quant à elle, fait droit au pourvoi. Elle déclare qu’en vertu de l’article 2639 du Code civil du Québec45 , la paternité du droit d’auteur n’est pas susceptible d’être réglée par voie d’arbitrage, car elle « constitue un droit moral se rattachant à sa personnalité ».46
Cependant, la Cour Suprême a tourné le dos à la vision personnaliste. Citant l’arrêt Théberge, elle rappelle que même si la LDA reconnait à la fois les droits économiques et moraux de l’auteur, les aspects économiques demeurent les plus importants.47 Enfin, «Dans le cadre de la législation canadienne sur le droit d’auteur, bien que l’œuvre constitue une ―manifestation de la personnalité de l’auteur‖, on se trouve fort loin des questions relatives à l’état et la capacité des personnes et aux matières familiales au sens de l’article 2639 CCQ ».48
On note enfin que la Cour Suprême a suivi la vision française concernant le domaine de l’arbitrage. Par contre, en droit d’auteur, elle s’est référée à la common law.
Conclusion
La distinction entre la vision française et la vision américaine démontre une grande importance au niveau de l’exequatur d’une sentence. En effet, l’exequatur constitue dans ce cas la décision par laquelle un tribunal rend exécutoire sur le territoire national une sentence arbitrale.
Des décisions restées exemplaires ont illustré cette différence entre le droit d’auteur dans sa plénitude tel qu’il existe en France et le copyright, qui se limite aux droits d’exploitation de l’œuvre. Parmi ces affaires figure celle du film Le Rideau de Fer. Il s’agissait d’un film antisoviétique ; sur la bande son de ce film figuraient des extraits de compositions musicales de Chostakovitch, Katchatourian, etc. Ceux ci, qui se présentaient comme des citoyens loyaux de l’Union Soviétique, avaient agi en justice pour voir interdire l’utilisation de leur musique. Celle-ci était susceptible d’être dans le domaine public, puisqu’à cette époque (1949), l’URSS n’était signataire d’aucune convention ou traité visant à la reconnaissance internationale des droits d’auteur. Au regard du copyright ou des droits patrimoniaux, on pouvait considérer que leurs œuvres étaient d’être librement diffusées. Mais les compositeurs s’opposaient à de celles-ci à des fins contraires à leurs convictions. Aux États-Unis, leur demande a été rejetée alors qu’en France la Cour d’Appel de Paris y a fait droit.49
D’autres affaires viennent illustrer cette différence. Ainsi dans une affaire Crimi50, un peintre de New York se plaignait de ce que la fresque murale qu’il avait peinte sur le mur d’une chapelle avait été détruite par les propriétaires de celle-ci. Sa demande a été rejetée par les Tribunaux de New York.
Une affaire similaire s’est déroulée en France concernant un décoré par le peintre Bernard Buffet. L’acquéreur de cette œuvre avait démantelé ce réfrigérateur pour en vendre séparément chacun des panneaux ainsi décoré. La Cour d’Appel a sanctionné cette mutilation en décidant que l’acquéreur du réfrigérateur «ne pourra s’en dessaisir que dans son », ce qui obligeait cet acquéreur à reconstituer ce réfrigérateur dans son état d’origine s’il souhaitait l’aliéner.51