Chapitre 1- La vision française du droit d’auteur
Section 2 – Le droit moral de l’auteur
Paragraphe 1 – Présentation du droit moral
Le droit moral est conçu comme un outil de protection de l’auteur.7 Cette fonction supporte l’analyse dualiste du droit d’auteur d’où elle dégage la protection de la personne de la circulation du bien.8
Tout comme le droit patrimonial de l’auteur, le droit moral est protégé par l’organisme tunisien des droits d’auteur et des droits voisins (L’OTDAV). Il s’agit d’un établissement public à caractère non administratif, bénéficiant de la personnalité juridique et de l’autonomie financière et placé sous la tutelle du ministère chargé de la culture.9 Il est considéré comme un organisme multidisciplinaire de gestion collective des droits d’auteur et des droits voisins.10
Le législateur a précisé que les droits moraux de l’auteur comprennent le droit exclusif de mettre son œuvre à la disposition du public et de revendiquer sa paternité en utilisant son nom ou un pseudonyme, ou communiquée au public et sur tout exemplaire reproduisant le contenu de l’œuvre, chaque fois qu’elle est présentée au public, sous un mode ou une forme d’expression quelconque. En outre, ce droit permet à l’auteur de s’opposer à toute mutilation, déformation, ajout ou autre modification de son œuvre sans son consentement écrit, ainsi qu’à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciable à l’honneur de l’auteur ou à sa réputation. Il lui acquiert la possibilité de retirer son œuvre de la circulation auprès du public, en contrepartie d’une juste indemnité, au profit de l’exploitant autorisé, ayant subi un préjudice.11
La doctrine, prenant acte de la construction jurisprudentielle en cette matière, estime que le droit moral comporte quatre attributs distincts: le droit de divulgation, le droit de retrait et le droit de repentir, le droit à la paternité et le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre.12
Le droit de divulgation est le droit de communiquer l’œuvre au public (aspect positif), et qui confère à l’auteur le pouvoir de décider lui même quand et comment son œuvre pourra être divulguée. Ainsi, le
consentement de l’auteur est-il indispensable pour que l’œuvre soit considérée comme divulguée. Celui-ci pourra même être tacite. Il permet aussi de garder l’œuvre secrète (aspect négatif) d’où il réserve à l’auteur la possibilité de communiquer ou de décrire le contenu de son œuvre.
Concernant le droit de paternité, il est reconnu à l’auteur sur toutes les œuvres protégées afin d’établir, envers le public, un lien entre sa personne et sa création, M.Colombet mentionne qu’il s’agit « d’un
rapport de parenté et de filiation entre l’être humain et la production de
son esprit ».13
Quant au droit au respect de l’intégrité de l’œuvre, il permet à l’auteur ou à ses ayants droit de s’opposer à toute modification de l’œuvre. Il permet aussi à l’auteur de s’opposer à ce que son œuvre, même non modifiée, soit reprise dans un contexte contraire à l’esprit de l’œuvre. Il permet aussi à tout moment à l’auteur de mettre fin à l’exploitation. En effet, l’auteur jouit du droit de retirer ou saisir son œuvre de la circulation ainsi, il présente un caractère personnaliste très marqué.14
On constate alors que la protection de l’œuvre s’interprète comme une protection de la personnalité de l’auteur lui-même. En effet, le droit moral est le droit pour l’auteur de créer, de présenter ou non sa création au public sous une forme de son choix, de disposer de cette forme souverainement et de réclamer à tout le monde le respect de sa personnalité en tant qu’elle est liée à sa qualité d’auteur ».15 Il faut enfin noter que les œuvres ne sont pas toutes protégées par le droit d’auteur. C’est notamment le cas des formulaires, des idées, des phrases, des titres, des travaux relevant du domaine public, des faits et des mécanismes de calcul.16
Paragraphe 2 – la consécration de l’inarbitrabilité du droit moral
La soumission éventuelle à l’arbitrage des différends susceptibles de survenir dans le champ du droit moral n’a pas intéressé la doctrine.17
Du point de vue législatif, en Tunisie, le législateur a élargi le champ du droit moral à travers la loi de 1994 en ajoutant deux autres attributs du droit moral à savoir le droit de divulgation et le droit de repentir18 contrairement à la loi précédente19 qui n’a consacré que le droit de paternité et le droit au respect de l’œuvre.
En France, le droit moral d’auteur était une création jurisprudentielle. Ainsi la loi de 1957 a t-elle accordé une importance majeure au droit moral. Ce droit est attaché à la personne de l’auteur, il est qualifié de perpétuel, inaliénable, imprescriptible et transmissible aux héritiers de l’auteur.20
En effet, Le fondement du droit moral est la protection de l’œuvre de l’esprit et c’est seulement l’auteur de l’œuvre ou ses héritiers qui peuvent assurer cette protection. Ceci dit, le droit moral ne peut faire l’objet d’aucune cession à un tiers. Ainsi, toute convention contraire constituerait une violation de l’ordre public et serait susceptible d’annulation.21
On note encore que le titulaire du droit moral ne peut y renoncer puisqu’un tel droit est protégé par des dispositions d’ordre public. M.Oppetit écrit que le droit moral par « son caractère inaliénable et perpétuel, apparait de plus comme un droit protecteur de l’œuvre elle même, puisqu’il survit de ce chef à l’auteur et qu’il est interdit à quiconque, fût-ce l’auteur lui-même, d’y renoncer. Alors, il ne semble pas contestable que le droit d’auteur et les droits voisins comportent dans leur statut d’importants éléments d’ordre public de protection ».22
On remarque aussi que le droit moral d’après le droit français est un droit inaliénable et imprescriptible. Il est de ce fait indisponible et non susceptible de faire l’objet d’une convention d’arbitrage.23 Ainsi, il est évident que le droit moral n’est pas arbitrable puisque le droit français dispose d’un critère unique sur l’arbitrabilité qui est la libre disposition des droits.
En droit tunisien, avant la réforme de 200924, l’article 22 de la loi de 1994 précitée mentionnait que : « Est licite, la cession partielle ou totale du droit d’auteur tel qu’il est prévu par la présente loi ».
Cet article ne précise pas si la cession concerne les droits patrimoniaux ou les droits moraux, ceci oriente notre pensée vers l’article 533 du code des obligations et des contrats qui dispose que : «Lorsque la loi s’exprime en termes généraux, il faut l’entendre dans le même sens. » Alors, à priori le droit moral est cessible donc susceptible de faire l’objet d’une convention d’arbitrage.
Mais il faut envisager la loi dans sa totalité. En effet, l’article suivant l’article 22 de la loi de 1994 précitée ne parle que des droit patrimoniaux de même l’article 39 de la même loi qui concerne les œuvres cinématographiques et audiovisuelles, exclut le droit moral du contrat de cession en précisant que les collaborateurs de l’œuvre conservent dans tous les cas leurs droits moraux.
En tenant compte de l’article 522 du code des obligations et des contrats qui dispose que : « Les renonciations à un droit doivent être entendues strictement et n’ont jamais que la portée qui résulte évidement des termes employés par leur auteur, et ne peuvent être étendues au moyen de l’interprétation… », La cession doit être interprétée strictement.
Ces dispositions semblent exprimer l’idée de l’inarbitrabilité des droits moraux. Ceci a été confirmé par la réforme précitée. En effet, l’article 8 nouveau dispose que les droits moraux sont imprescriptibles et qu’ils ne peuvent faire l’objet de renonciation et qu’ils sont inaliénables. On constate ainsi que le droit tunisien adopte la même vision que celle du droit français. Le droit moral de l’auteur est ainsi dit perpétuel, inaliénable et imprescriptible. Ceci dit, l’imprescriptibilité du droit moral semble constituer une spécificité du droit d’auteur.25 Elle l’écarte de la servitude de droit commun, éventuellement pour la rapprocher de la servitude d’utilité publique, et de la charge réelle.26
Concernant la perpétuité, elle inscrit le droit d’auteur dans le temps,
bien au-delà de la durée des droits patrimoniaux, faisant ainsi écho à
la traditionnelle perpétuité du droit de propriété.27
Quant à l’inaliénabilité du droit moral, elle représente une garantie de l’efficacité du droit moral et un moyen de contrer toutes stipulations contractuelles inverses puisqu’elle rejette toute tentation de renoncer à ces prérogatives et assure que l’objectif assigné par le législateur au droit moral, en tant que charge réelle, peut être atteint28 .
A cet égard, la Cour de cassation française a affirmé que «l’inaliénabilité du droit au respect de l’œuvre, principe d’ordre public, s’oppose à ce que l’auteur abandonne au cessionnaire, de façon préalable et générale, l’appréciation exclusive des utilisations, diffusions, adaptations, retraits, adjonctions et changements auxquels il plairait à ce dernier de procéder ».29
On conclut donc que le droit moral est indisponible puisqu’il est ni cessible ni susceptible de renonciation. Il est donc inarbitrable.